mardi 8 septembre 2015

Un homme, ça ne pleure pas - Faïza Guène

C'est frais, jeune, pétillant, drôle ... autant le dire, j'ai beaucoup aimé ce roman. Lu d'une traite en une journée, il est, pour moi, d'une belle qualité. Il raconte, ce livre, la famille Chennoun; une famille d'origine algérienne installée à Nice. Il y a les parents et, dans l'ordre de naissance, Dounia, Mina et Mourad. C'est lui qui écrit. C'est lui qui raconte. Il dit le départ de sa sœur aînée étouffée par l'amour maternel et les traditions, il dit la gentillesse de Mina qui, pour ne pas faire souffrir ses parents, s'est toujours comportée comme la fille idéale, il dit la bonté de son père, l'amour envahissant de sa mère. Il dit aussi sa solitude et son amour pour la littérature. Il dit avec tendresse et humour sa famille touchante et émouvante. J'ai aimé le lire et l'écouter. J'ai aimé l'histoire racontée. J'ai aimé aussi la critique que l'auteure fait. 

C'est de l'intégration française qu'elle rit, de l'assimilation forcée qu'elle se moque; cette assimilation qui ne suffit pas en vérité à faire de l'immigré/réfugié un bon français car il est toujours, éternellement, renvoyé à ce qui fait de lui un étranger. On lui demande d'effacer, d'oublier, de s'extirper de ce qui fait son identité pour acquérir celle de sa nationalité mais c'est quoi au juste être français? Comment le devient-on? Quel est son contenu? Qui sait la définir? On sent bien que la langue ne suffit pas à faire "le Français", on sent bien que la citoyenneté non plus. On peut être un bon citoyen respectueux des valeurs françaises parfaitement intégré à la société, avoir un travail, un foyer, payer ses impôts, respecter les lois, il manque toujours quelque chose aux yeux de celles et ceux qui savent, eux, définir l'identité française. Elle est, cette identité, un "nous" jamais vraiment défini qui permet d'écarter celles et ceux qui sont éternellement "eux". Eux qui ont une couleur de peau, une consonance, une résonance, une apparence qui vient d'un ailleurs. Ils le savent, ils le sentent les "vrais français". Ils ne sont pas dupes. Eux savent ce qu'être français mais ils ne veulent pas l'expliquer car il y a des évidences qui n'ont pas besoin d'être racontées. Ils sont français, ils n'ont pas de doute sur le contenu de leur identité. C'est forcément différent pour l'enfant d'immigré/réfugié qui DOIT devenir français; lui doit savoir ce qu'on attend de lui précisément, ce qu'il faut faire pour ne pas être considéré comme étranger à la société. Il doit savoir mais comment? personne ne lui a expliqué. Il faut faire quoi pour devenir français, pour faire partie de la communauté? Changer son prénom, la couleur de sa peau, célébrer Pâques et Noël, manger du porc, boire du vin, aller à l'Eglise? Est-on bien sûre que tous les français le font? Alors que faire d'autres? Oublier sa famille, ses parents, sa langue dite maternelle, refuser leurs coutumes et traditions même quand elles n'ont rien de dangereuses pour la République et la Patrie? 

Ils savent celles et ceux qui demandent à oublier ce que ça coûte aux enfants d'immigrés et de réfugiés? Ils savent à quelles difficultés psychologiques ils peuvent être confrontés? Ce que ça fait de se sentir écarté, tiraillé? Ils savent les tensions qui se vivent, les problèmes qui se créent? Faïza Guène n'a pas tort. Ça donne entre autres des Dounia: des filles qui se perdent, qui ne savent plus comment il faut être, des femmes qui croient que le féminisme c'est le refus systématique du mariage, de la vie rangée; que la liberté passe par les petites jupes et le carriérisme, la cigarette et les boissons alcoolisées; que le féminisme impose une éternelle confrontation avec la famille reléguée dans l'arriérisme; des femmes qui payent le prix de leur combat parfois mal pensé et qui finissent dans la solitude la plus complète; ces mêmes qui, plus tard, une fois la vie passée, vont venir nous expliquer qu'il est finalement difficile pour un être de s'extirper complètement des valeurs, coutumes et traditions inculquées. C'est déjà compliqué pour un enfant d'immigré/réfugié de vivre écartelé entre deux mondes dit inconciliables; c'est déjà dure pour lui d'être un enfant d'ici et d'ailleurs. Il doit, seul, créer le pont qui lui permettra de circuler entre les deux espaces-temps. C'est, pour lui, déjà compliqué mais quand d'autres viennent s'immiscer dans sa vie privée pour le faire culpabiliser et/ou lui faire peur en lui expliquant qu'il est menacé parce que pas français, pensez aux dégâts que ça fait. J'en ai vu des jeunes qui se sont perdus ou sont toujours encore perdus, ne sachant pas qui ils sont, ce qu'ils doivent être, ce qu'il faut faire pour être. La vérité, c'est qu'ils seront, quoiqu'ils fassent, quelque soit leurs efforts, des étrangers aux yeux de la société qui refusent de les voir français. 

J'ai beaucoup écrit, beaucoup parlé, je dois ici m'arrêter. En bref, je vous conseille ce roman plein de douceur et de fraîcheur qui ne peut, bien entendu, se résumer à ce que j'ai écrit et pensé. 

Un homme, ça ne pleure pas, Faïza Guène, Edition Fayard, 315p, 18€


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