dimanche 27 septembre 2015

Les villes de la plaine - Diane Meur


Je l'avais vu en librairie, attirée par la première de couverture que je trouvais attrayante. J'allais l'acheter en raison de la quatrième de couverture que je trouvais convaincante mais j'avais hésité, j'avais résisté. Je l'avais finalement déposé là où il était. Point de regret car je l'ai eu. Je l'ai lu grâce à Babelio et au Livre de Poche qui m'ont fait cadeau de ce livre que j'ai pris plaisir à lire et découvrir.  

J'ai aimé en effet la lecture de ce roman. J'ai aimé ce qu'il me racontait. Il dit des choses intéressantes, des choses qui font écho à l'actualité. Il parle du mot, du texte et de leur subtilité. Il parle du pouvoir de l'interprétation et de l'attribution du sens. Il dit la complexité à saisir les mots, à les comprendre; des mots si difficiles à cerner qu'il faut les étudier pour découvrir leur vérité - si tant est qu'il y en ait une. Il parle, ce roman, de l'instrumentalisation du texte sacré, de son utilisation par le pouvoir politique - entendu comme le pouvoir attribué à une caste définie. Il parle de son interprétation erronée, de la suppression du sens premier. Il dit que le temps passant, les années filant, le texte peut perdre la pensée de son auteur parce que le lecteur, surtout quand il en va de son intérêt, peut lui substituer sa propre idée; une interprétation qui interroge dès lors l'efficacité des termes employés. On le sait, une phrase mal construite, un mot mal utilisé et/ou peu défini peuvent laisser place à des interprétations infinies. Il faut toujours préciser le fil de la pensée pour ne pas laisser le doute s'installer. Il faut toujours bâtir avec solidité le texte censé le porter pour ne pas induire le lecteur en erreur. Sinon je ne vous dis pas les dégâts surtout lorsque le lecteur est de mauvaise foi; sinon la puissance n'est plus dans le mot mais dans l'interprétation du mot et c'est le plus influent, le plus grand qui impose le sens et la portée.

Le roman pose ses questions: le pouvoir est-il dans le mot ou dans son interprétation? Les "savants", ceux qui se prétendent les plus à mêmes de comprendre le texte sacré, restent-ils fidèles aux écrits ou manipulent-ils la masse en leur imposant leur propre interprétation? Et dans ce cas, comment revenir au sens premier du texte? Comment comprendre les écrits qui datent de plusieurs siècles? Comment approcher le sens que son auteur a voulu lui donner? Comment lui être fidèle et ne pas le/se tromper? Faut-il le décortiquer, l'analyser pour découvrir un sens caché au fil des années par des interprétations erronées? Peut-on même y arriver sans être, à son tour, accusé de faire dans la subjectivité? La communication, écrite ou orale, n'est jamais aisée car elle ne sait pas traduire la pensée qui ne sait pas aborder la complexité. Et cette incapacité crée des maux qu'on ne sait pas soigner; des maux qui sont, pour certains, évoqués dans ce roman; ce roman intelligent qui risque de ne pas plaire à tous le monde tant il ne se laisse pas facilement aborder. Il faut se laisser glisser pour pouvoir, je pense, l'apprécier. Il est à conseiller pour son intelligence et son originalité.

Roman envoyé par Le Livre de Poche en partenariat avec Babelio.

Les villes de la plaine, Diane Meur, Le Livre de Poche, 399p, 7.30€


vendredi 25 septembre 2015

Les cerfs-volants de Kaboul - Khaled Hosseini

J'ai pleuré. Je n'ai pas su résister, je n'ai pas su me retenir. Mes larmes incontrôlées ont coulé. J'ai pleuré l'horreur de ce monde, le drame de la vie. J'ai pleuré l'injustice que subissent les plus abîmés, les plus fragilisés. J'ai pleuré parce que ce roman parle de ce qui est, de ce qui tue à petit feu certains qui vivent dans ces territoires malmenés. J'ai pleuré parce que je ne peux rien faire pour les aider. Moi qui suis incapable d'entendre, de lire, d'écouter certains sujets, moi qui suis dans ce cas d'une grande, d'une extrême sensibilité, je n'ai pas su résister à la douleur. Elle m'a envahit, m'a atteint. Elle a touché la corde sensible; celle qui impose la culpabilité qui se rappelle à moi quelques fois. Je me sens coupable, en effet. Coupable de ne pas aider, de ne pas agir, de ne pas faire; coupable de rester assise à regarder tourner ce monde féroce et violent; coupable de résignation. Que faire pour améliorer ce monde qui ne tourne jamais rond? Que faire pour aider celles et ceux qui n'ont pas la chance que nous avons? Que faire? Par où commencer? Comment s'organiser? Khaled Hosseini, vous l'aurez compris, a heurté ma sensibilité, il m'a rappelée ma fragilité et mon incapacité à agir sur ce monde, à l'améliorer même un petit peu. Je n'ai pas, comme d'autres, les épaules pour porter ce monde. Il est si lourd, si chargé, si noué. Je suis incapable de l'affronter parce que je sais, d'avance, que je ne vais pas gagner. Les fils sont tirés par des gens mieux placés.

Mais que raconte donc ce roman pour m'émouvoir autant? Eh bien, il parle de la résignation, de l'intégrité, de la fidélité. Il parle d'Ali et de son fils Hassan, de leur sens du sacrifice au nom de l'amour et de l'amitié. Il parle de leur profonde gentillesse et de leur grande humanité. Il parle, aussi, en parallèle, de la culpabilité et du remords qui naissent de la conscience. C'est, ici, celle d'Amir qui pleure; Amir qui a commis des erreurs, qui a manqué de courage; Amir cet enfant privilégié qui voulait l'amour de son père, qui réclamait son attention, qui courait après sa satisfaction et qui a sacrifié l'autre pour obtenir un peu de ce qu'il désirait tant; Amir qui, une fois adulte, se confronte à son passé pour sauver son âme déchiré. Ce roman évoque, enfin, la violence; celle que l'Afghanistan, pays bien malheureux, connait depuis maintenant des années; il évoque la chaleur de ce pays qu'on ne connait pas vraiment. Voilà, peut être, l'occasion de le découvrir un peu avec ce roman.

Les cerfs-volants de Kaboul, Khaled Hosseini, Edition 10/18, 406p, 8.80€

mercredi 23 septembre 2015

Pas pleurer - Lydie Salvayre

Que dire sinon que j'ai aimé, apprécié ce roman. Il a reçu, on le sait, le prix Goncourt en 2014 et il le mérite parce qu'il est joli, intelligent, puissant même. Il raconte, ce livre, les souvenirs de Montse, la mère de l'auteure. Il raconte le début de la guerre civile espagnole, celle qui a vu s'opposer, à partir de juillet 1936, les républicains (gauche/extrême gauche) et les nationalistes attachés à Franco (droite/extrême droite). Il raconte le bonheur d'une jeune adolescente, d'une jeune paysanne qui découvre, pendant cette guerre civile, un peu la Liberté; cette Liberté qui l'a marquée au point qu'âgée elle n'a retenu de sa vie que cette année. 1936 est, pour Montse, l'année d'un bonheur inoubliable, l'année qui a bouleversé le cours de son existence, qui l'a fait entrer dans la vie d'adulte; une année qui signifie tout autre pour l'Histoire et celles et ceux qui l'ont raconté. 1936, c'est en effet, pour nous, le début de l'horreur en Espagne, le début de l'épreuve, de la dictature qui marquera le pays pendant de longues années; et le drame nous est ici raconté par Bernanos, un catholique, qui dénonce la connivence de l'Eglise avec les nationalistes, son soutien aux assassins, sa participation aux massacres. Ce livre trace ainsi le parallèle. Il confronte les souvenirs qui sont propres à chacun. Nonobstant, n'allez pas croire, cher(s) lecteur(s), que Montse n'a rien connu de la guerre, qu'elle en a été protégée et qu'elle a, de ce fait, de cette année 1936, un souvenir heureux et inoubliable. Montse, en nous livrant un peu de sa vie, nous explique, elle aussi, la guerre. Elle parle des ambitions, des utopies, des rêves et énergies. Elle parle des exaltations, des désillusions, des violences qui s'impriment dans les corps et les esprits. Elle parle de son village et de son Espagne. Elle parle de son bonheur et de sa douleur. Et elle en parle bien, avec une langue amusante, mi français mâché, mi espagnol; un parlé qui peut faire brouillon mais qui m'a plu par son authenticité. Alors merci à Lydie Salvayre, merci à elle de faire revivre les souvenirs de sa mère, merci à elle de nous les avoir confiés. C'était, pour moi, un plaisir de les écouter.

 Pas pleurer, Lydie Salvayre, Seuil, 279p, 18.50€

lundi 21 septembre 2015

L'amour au temps du choléra - Gabriel Garcia Marquez

Je pensais à un roman coloré, festif, mondain qui raconte les jeux de séduction, les regards discrets, la jalousie. Je pensais à une histoire légère qui écrit avec énergie la passion amoureuse. J'ai rencontré, en lieu et place de ce que j'imaginais, un roman au rythme lent, lourd, marqué, comme d'habitude avec Gabriel Garcia Marquez, par une température et un environnement étouffant, par une violence sociale féroce. J'ai rencontré, plus qu'une passion, une obstination; celle d'un homme, Florentino Ariza, qui refuse de penser sa vie sans Fermina Daza étant convaincu de la retrouver une fois son mari, le médecin Juvenal Urbino, décédé. Il avait vécu, avec elle, une relation à distance pendant près de trois ans, elle avait finalement décidé d'épouser un autre que lui, convaincue qu'elle n'avait pour lui aucun sentiment mais lui ne l'a pas oublié. Lui, foncièrement "amoureux", attaché à l'idée de former un couple avec elle, vivra sa vie toujours en pensant à elle, en pensant à ce moment où elle sera dans ses bras. 

Gabriel Garcia Marquez raconte ainsi, avec le talent qu'on lui connait et une grande efficacité, l'obstination d'un homme qui n'a, en tête, qu'une idée: retrouver celle qu'il a aimé. Il décrit la vie de ces personnages auxquels je n'ai pas réussi à m'attacher. Je n'ai eu, en effet, aucune sympathie pour Florentino Ariza. Je n'ai eu aucune admiration pour Fermina Daza. Mais j'ai aimé lire l'histoire que l'auteur me racontait. Elle est bien construite, bien amenée. Elle est solide parce que bâtie par une plume puissante qui m'oblige à conseiller ce roman d'une grande qualité devenu un classique qu'il ne faut pas manquer.

L'amour au temps du choléra, Gabriel Garcia Marquez, Le Livre de Poche, 443p, 6.90€

jeudi 17 septembre 2015

Le piège Daech - Pierre Jean Luizard

Pour entendre la région, pour bien la comprendre, il faut, bien évidemment, regarder le passé, analyser l'Histoire. Qui a décidé? pourquoi? comment? Il faut se retourner, observer le siècle passé, prendre de la hauteur pour comprendre l'actualité. Pourquoi Daech? Pourquoi une expansion aussi rapide? Répondre au "pourquoi" pour peut-être entrevoir le "comment": comment sortir de ce merdier? comment corriger les erreurs du passé? comment établir la stabilité? 

Pierre-Jean Luizard revient ici, brièvement, rapidement, sur quelques éléments qui peuvent nous aider à comprendre "le piège Daech". Il nous explique, dans un premier chapitre, l'irruption de l'Etat Islamique, son succès et sa rapide expansion. Un modus operandi particulièrement efficace (à l'opposé d'Al Qaïda qui forçait la population locale, l'E.I restitue le pouvoir à des acteurs locaux en contrepartie, bien entendu, de leur allégeance absolue), une communautarisation de la scène politique irakienne et un accord avec le kurde Massoud Barzanî permettent en effet l'avancée, en Irak, des troupes de l'Etat Islamique. Seulement, la rupture de l'accord et l'appel au djihad de l'ayatollah Ali Sistani obligent l'Etat Islamique à revoir ses plans: l'expansion illimitée sur le territoire irakien étant désormais, pour lui, très compliquée voire impossible, il décide d'envahir la Syrie dans l'espoir d'unir, de faire une, la communauté sunnite arabe désormais soumise au Califat proclamé le 29 juin 2014. Cette proclamation est un pied de nez à l'Histoire qui a vu l'Empire ottoman se disloquer par le jeu des puissances "occidentales" qui se sont amusées à le démembrer et le découper pour "mieux" réorganiser "son" territoire. Les pays mandataires (France et Grande-Bretagne) fixent - c'est le second chapitre - les frontières, participent à la création d'Etats dès le début contestés... l'objectif est la sauvegarde de leurs propres intérêts. Depuis on le sait, c'est le chaos dans la région. Il faut citer l'auteur: 
Si l'ordre étatique régional menace de s'effondrer aujourd'hui c'est avant tout en raison de son épuisement et de ses contradictions internes, devenues insoutenables. Ce n'est pas le califat proclamé par Abou Bakr Al-Bagdadi qui menace aujourd'hui l'Etat irakien. Ce ne sont pas les combattants de l'Etat Islamique qui ont amorcé le processus d'autodestruction du régime de Bachar Al-Assad qui entraîne toute la Syrie dans sa chute chaotique et interminable. En réalité, l'Etat Islamique n'est fort que de la faiblesse de ses adversaires et il prospère sur les ruines d'institutions en cour d'effondrement. C'est ce long processus de délégitimation et de décomposition d'Etats dont la viabilité était largement viciée dès l'origine, qu'il s'agit maintenant d'étudier". (p.58)
Etudiant et définissant, dans les chapitres suivant, l'Etat irakien et syrien, Pierre-Jean Luizard s'interroge également sur les bouleversements que l'apparition de Daech imposent au Moyen-Orient; des bouleversements tels que l'auteur conclut en écrivant qu' "on ne reviendra pas au Moyen-Orient que nous avons connu depuis près d'un siècle" (p. 178). Dès lors, il interroge:  "Une guerre lancée sans perspectives politiques n'est-elle pas perdue d'avance? C'est le piège que l'Etat Islamique tend aux démocraties occidentales pour lesquelles il représente certainement un danger mortel." et conclut "Les leçons de l'Histoire doivent aussi servir à le combattre". Qui veut connaître rapidement et succinctement cette Histoire peut ainsi approcher le livre de Pierre-Jean Luizard. Ceux qui la connaissent déjà peuvent, comme moi, l'aborder pour se rafraîchir la mémoire. 

Le piège Daech, Pierre-Jean Luizard, La Découverte, 187p, 13.50€


lundi 14 septembre 2015

Le revenant - Yiğit Bener

Le revenant c'est celui qui a été contraint au départ en raison de ses idées politiques; c'est ce révolutionnaire de gauche qui a essayé de tout changer dans sa société mais qui a échoué; ce condamné qui a préféré l'exil à la torture et la prison; cet homme vaincu qui est revenu en Turquie une fois oublié. Et il raconte, ce revenant, ce que c'est que de rentrer au pays après avoir habité, contraint et forcé, dans cet autre monde qu'est l'étranger. C'est revenir, changé, dans un pays qui a lui-même évolué. La Turquie n'est, en effet, plus ce qu'elle était. Et c'est elle que nous décrit, en partie, l'auteur. C'est elle qu'il interroge avec intelligence et clairvoyance. Ce roman ne connait aucune fausse note, en effet. Les questions sont justes et bien posées, les réflexions sont pleines de lucidités, le regard est juste parfait, en accord avec ce que j'ai toujours pensé. Je n'ai eu aucun désaccord avec l'auteur. Je partage, avec lui, ses idées et ses pensées; ses questions et interrogations; ses réflexions sur la Vie et la Turquie. Femme de gauche, je me suis retrouvée dans tout ce qu'il a dit; dans ses doutes, dans ses incertitudes, dans sa manière de penser et voir le monde. Je me suis retrouvée dans son regard modeste et bienveillant. Il est, comme moi, loin des certitudes. Je suis, comme lui, un peu perdue dans la complexité de ce monde qui nous interdit d'avoir des positions dogmatiques. Je suis, comme lui, dans l'observation de cette Turquie qui est, quelque part, aussi mon pays puisqu'elle entraîne dans son sillon le Kurdistan que j'ai dû moi aussi quitter dans les bras de ma maman pour des raisons de sécurité; ce pays la Turquie que certains étrangers prennent plaisirs à expliquer sans l'avoir approché ou étudié; ce pays d'une grande richesse, d'une admirable beauté que les politiques et militaires salissent depuis maintenant plus d'un siècle; ce pays que l'on doit toujours observer en espérant son changement qui doit, obligatoirement, être des plus radicales tant il a besoin de s'extirper de tous ces maux qui continuent à le ronger. En bref et pour résumer, j'ai beaucoup aimé ce roman qui m'a quelque peu réconfortée.

Le revenant, Yiğit Bener, Actes Sud, 346p, 23€

mardi 8 septembre 2015

Un homme, ça ne pleure pas - Faïza Guène

C'est frais, jeune, pétillant, drôle ... autant le dire, j'ai beaucoup aimé ce roman. Lu d'une traite en une journée, il est, pour moi, d'une belle qualité. Il raconte, ce livre, la famille Chennoun; une famille d'origine algérienne installée à Nice. Il y a les parents et, dans l'ordre de naissance, Dounia, Mina et Mourad. C'est lui qui écrit. C'est lui qui raconte. Il dit le départ de sa sœur aînée étouffée par l'amour maternel et les traditions, il dit la gentillesse de Mina qui, pour ne pas faire souffrir ses parents, s'est toujours comportée comme la fille idéale, il dit la bonté de son père, l'amour envahissant de sa mère. Il dit aussi sa solitude et son amour pour la littérature. Il dit avec tendresse et humour sa famille touchante et émouvante. J'ai aimé le lire et l'écouter. J'ai aimé l'histoire racontée. J'ai aimé aussi la critique que l'auteure fait. 

C'est de l'intégration française qu'elle rit, de l'assimilation forcée qu'elle se moque; cette assimilation qui ne suffit pas en vérité à faire de l'immigré/réfugié un bon français car il est toujours, éternellement, renvoyé à ce qui fait de lui un étranger. On lui demande d'effacer, d'oublier, de s'extirper de ce qui fait son identité pour acquérir celle de sa nationalité mais c'est quoi au juste être français? Comment le devient-on? Quel est son contenu? Qui sait la définir? On sent bien que la langue ne suffit pas à faire "le Français", on sent bien que la citoyenneté non plus. On peut être un bon citoyen respectueux des valeurs françaises parfaitement intégré à la société, avoir un travail, un foyer, payer ses impôts, respecter les lois, il manque toujours quelque chose aux yeux de celles et ceux qui savent, eux, définir l'identité française. Elle est, cette identité, un "nous" jamais vraiment défini qui permet d'écarter celles et ceux qui sont éternellement "eux". Eux qui ont une couleur de peau, une consonance, une résonance, une apparence qui vient d'un ailleurs. Ils le savent, ils le sentent les "vrais français". Ils ne sont pas dupes. Eux savent ce qu'être français mais ils ne veulent pas l'expliquer car il y a des évidences qui n'ont pas besoin d'être racontées. Ils sont français, ils n'ont pas de doute sur le contenu de leur identité. C'est forcément différent pour l'enfant d'immigré/réfugié qui DOIT devenir français; lui doit savoir ce qu'on attend de lui précisément, ce qu'il faut faire pour ne pas être considéré comme étranger à la société. Il doit savoir mais comment? personne ne lui a expliqué. Il faut faire quoi pour devenir français, pour faire partie de la communauté? Changer son prénom, la couleur de sa peau, célébrer Pâques et Noël, manger du porc, boire du vin, aller à l'Eglise? Est-on bien sûre que tous les français le font? Alors que faire d'autres? Oublier sa famille, ses parents, sa langue dite maternelle, refuser leurs coutumes et traditions même quand elles n'ont rien de dangereuses pour la République et la Patrie? 

Ils savent celles et ceux qui demandent à oublier ce que ça coûte aux enfants d'immigrés et de réfugiés? Ils savent à quelles difficultés psychologiques ils peuvent être confrontés? Ce que ça fait de se sentir écarté, tiraillé? Ils savent les tensions qui se vivent, les problèmes qui se créent? Faïza Guène n'a pas tort. Ça donne entre autres des Dounia: des filles qui se perdent, qui ne savent plus comment il faut être, des femmes qui croient que le féminisme c'est le refus systématique du mariage, de la vie rangée; que la liberté passe par les petites jupes et le carriérisme, la cigarette et les boissons alcoolisées; que le féminisme impose une éternelle confrontation avec la famille reléguée dans l'arriérisme; des femmes qui payent le prix de leur combat parfois mal pensé et qui finissent dans la solitude la plus complète; ces mêmes qui, plus tard, une fois la vie passée, vont venir nous expliquer qu'il est finalement difficile pour un être de s'extirper complètement des valeurs, coutumes et traditions inculquées. C'est déjà compliqué pour un enfant d'immigré/réfugié de vivre écartelé entre deux mondes dit inconciliables; c'est déjà dure pour lui d'être un enfant d'ici et d'ailleurs. Il doit, seul, créer le pont qui lui permettra de circuler entre les deux espaces-temps. C'est, pour lui, déjà compliqué mais quand d'autres viennent s'immiscer dans sa vie privée pour le faire culpabiliser et/ou lui faire peur en lui expliquant qu'il est menacé parce que pas français, pensez aux dégâts que ça fait. J'en ai vu des jeunes qui se sont perdus ou sont toujours encore perdus, ne sachant pas qui ils sont, ce qu'ils doivent être, ce qu'il faut faire pour être. La vérité, c'est qu'ils seront, quoiqu'ils fassent, quelque soit leurs efforts, des étrangers aux yeux de la société qui refusent de les voir français. 

J'ai beaucoup écrit, beaucoup parlé, je dois ici m'arrêter. En bref, je vous conseille ce roman plein de douceur et de fraîcheur qui ne peut, bien entendu, se résumer à ce que j'ai écrit et pensé. 

Un homme, ça ne pleure pas, Faïza Guène, Edition Fayard, 315p, 18€


lundi 7 septembre 2015

L'art français de la guerre - Alexis Jenni

Ouff ...! Fini, terminé! Je suis enfin arrivée au bout de ma lecture, au bout de ce roman qui m'a étouffée, ennuyée. Pourtant, le thème a de quoi intéresser. Pourtant, le récit est construit avec talent mais l'auteur a beaucoup trop tiré en longueur. J'aurais été satisfaite s'il avait moitié moins fait, s'il avait moins écrit, moins détaillé, moins répété. En l'état, ce roman, bien qu'intéressant, finit par ennuyer. C'est avec agacement que je reprenais ma lecture lorsqu'elle était interrompue par la nuit et l'ennui. Je ne désirais qu'une chose: vite le terminer pour passer à autre chose parce que l'ambiance a pesé sur mes épaules, parce qu'elle allait jusqu'à l’écœurement. 

Alexis Jenni a bien fait de raconter l'art français de la guerre; cet art mal pensé, mal déployé qui n'a fait que s'appuyer sur une force inconsidérée; qui n'a fait qu'envoyer la France un peu plus loin dans l'horreur et l'erreur. La France a tué, torturé, assassiné par milliers, s'est lancé dans des guerres au nom de ses propres intérêts sans interroger les mots qui font sa devise si sacrée. A l'extérieur, sur ces territoires qu'elle estimait siennes, elle a oublié la Liberté, l'Egalité et la Fraternité. Elle s'est comportée comme ces ennemis qui l'ont, par le passé, humiliée. Elle a oublié ce que c'était. Elle a donc humilié à son tour et elle a, bien heureusement, perdu; perdu les guerres qu'elle s'est amusée à conduire, perdu le peu d'honneur qui lui restait. Depuis, elle fait comme si tout cela n'avait pas existé. Mais ce roman les lui rappelle avec une certaine efficacité. 

Le roman est intelligent, en effet. Il brille par son contenu. Il pense, il fait réfléchir. Il fait ressentir aussi. C'est la colère à voir ces personnages pratiquer la violence et la torture sans l'interroger sincèrement, c'est le dégoût de toutes ces guerres menées pour pas grand chose en vérité, c'est la tristesse à voir cette réalité qui n'est jamais évoquée et qui a, pourtant, dans la société, laissé des traces et des blessures jamais pa(e)nser. Le propos est brillant, l'écriture est efficace, elle sait porter des thèmes lourds et bien pesants ... pesants au point qu'il faut éviter, justement, de l'alourdir davantage en écrivant indéfiniment parce que le résultat, c'est l'étouffement. 

L'art français de la guerre, Alexis Jenni, Edition France Loisirs, 644p, 9.99€