jeudi 26 février 2015

Rue des voleurs - Mathias Enard

Lahkdar nous écrit. Il nous raconte une période de sa vie. Elle est triste, dramatique, chaotique et en même temps dynamique et énergique. Fuyant la honte qui le poursuit chez lui - son père le découvre au lit avec Meryem, sa cousine - le jeune homme, d'origine marocaine, commence l'errance et fait l'expérience malheureuse d'une vie isolée. Il se cherche, essaye de se trouver. Comment y parvenir dans une société et un monde qui l'a déjà condamné? Les traditions l'étouffent, elles empêchent et condamnent ses désirs d'adolescent. Et que peut-il espérer dans un monde qui le prive d'une place où il aurait pu librement se réaliser? Le jeune homme, lucide, ne désespère pas. Il continue d'avancer en espérant un jour pouvoir vivre en toute liberté. 

Sur son chemin, il rencontre tout ce qui fait le malheur d'une vie: la misère, la pauvreté, la violence, la décadence, l'injustice. Il aperçoit aussi le terrorisme à prétendu caractère religieux, son emprise et son influence. Il découvre, bien plus heureux, l'Amour et ses humeurs- tantôt euphoriques, tantôt tragiques. Le jeune adolescent apprend. Il apprend à grandir, loin de sa famille, loin de son foyer. Attendrissant, il tente de construite, comme il peu, avec ses maigres moyens, la vie qu'il espère tant. 

Ce roman raconte une jeunesse désespérée. Une jeunesse condamnée à l'errance par une société étouffante qui ne leur reconnait aucun espace de liberté. En privé comme en public, ces jeunes sont tenus par des règles que l'âge adolescent peine à respecter. Ils respectent tout de même, par contrainte et par peur. Mais - doit on comprendre dans ce roman - leur vie est marquée par une éternelle frustration. Frustrés de ne pas vivre leurs désirs, de ne pas pouvoir se réaliser, de ne pas disposer d'une liberté, ils pensent alors à la fuite - dans l'eldorado "occidental" de plus en plus fermé - ou à la lutte au sein d'un autre monde hermétique - dit islamique - qui leur offre en effet tous les conforts jusque-là espérés. De sa plume directe, énergique et bien cocasse, ce roman écrit ainsi la vie dramatique d'une génération tiraillée entre "tradition" et "modernité", la "modernité" étant toujours liée à l' "Occident" qui gagne, par effet de mondialisation, en visibilité et donc en attirance. Une modernité qui peut aussi finir par devenir l'objet d'une haine démesurée et acharnée comme il l'a été précisé. 

L'auteur, Mathias Enard, n'offre donc, dans ce roman, que peu d'alternatives à ses personnages que l'on pourrait, par ailleurs, définir comme des véritables frustrés sexuels. C'est là que je situe le bémol: une trop grande place est faite à la sexualité bridée qui serait - en ai-je eu l'impression - la cause première de tous les maux. Mais me dira-t-on Rue des voleurs n'est qu'un roman, il peut donc écrire et dessiner ses personnages comme il l'entend. C'est vrai ... il n'est ni un essai, ni une oeuvre sociologique. Il est une histoire qui se termine mal et, malheureusement pour moi, assez vite, n'ayant pas totalement compris le dernier geste. Lahkdar aurait pu me l'expliquer comme il sait si bien le faire, lui dont la plume s'est révélée être, au fil des pages, brillante, vivante et bien croustillante. 

Rue des voleurs, Mathias Enard, Edition Babel, 352p, 8.70€

 

mardi 24 février 2015

La femme sans sépulture - Assia Djebar

Elle s'appelle Zoulikha. Elle est Algérienne. Femme courageuse et affirmée, elle est cette combattante acharnée qui a voulu, contre les occupants français, s'émanciper. Ils ont fini par gagner, malheureusement. Ils ont fini par l'emporter. Ils l'ont capturée, torturée. Ils ont laissé son corps mutilé. Où? Personne, dans sa famille, ne le sait. Elle n'a pas de sépulture, pas de lieu où ils peuvent la pleurer et un peu se consoler. Qu'importe... Zoulikha, même morte, a triomphé. Elle continue d'exister, dans les cœurs et les esprits de celles et ceux qui reconnaissent la liberté quand elle est. Elle continue d'exister grâce à ce roman qui nous apprend qui elle est. En écrivant cette femme sans sépulture, Assia Djebar lui accorde en effet l'immortalité. Elle lui attribue un trophée hautement mérité mais jamais décerné. Elle lui offre ce que sa détermination et son courage valent: l'Estime. 

Zoulikha est effectivement cette femme qui appelle l'exemple. D'une grande volonté, au caractère trempé, elle se donne les moyens d'être ce qu'elle est: une femme indépendante qui refuse les chaines imposées par les traditions et les forces d'occupations. Elle est cette moudjahida qui affirme continuellement son existence. Et comme beaucoup, elle a payé le prix de son être. Planant au dessus de ces pages comme un fantôme - invisible mais omniprésent - Zoulikha m'émeut parce qu'elle me rappelle mes compatriotes kurdes qui ont décidé d'emprunter ce qu'elles pensent être la voix de leur émancipation. Elles sont combattantes, guérilleros. Elles espèrent, elles aussi, se débarrasser des chaines qui les brisent: traditions ou forces d'occupations. Elles ont, elles aussi, eu à connaitre ce que Zoulikha a vécu: tortures et mort. Elles sont, elles aussi, pour certaines, sans sépulture. Sauf qu'il n'y a personne pour écrire leur mémoire. Il n'y a personne pour leur offrir l'immortalité. 

Mais La femme sans sépulture me les rappelle. Elle m'invite à les pleurer et les célébrer. En cela, je ne peux que remercier. Merci à Assia Djebar d'écrire - même avec quelques défauts, à travers Zoulikha, ces femmes qui ont décidé de lutter pour tout simplement exister. 

La femme sans sépulture, Assia Djebar, Le Livre de poche, 243p, 5.60€

 

samedi 14 février 2015

L'enfant du Titanic - Leah Fleming


Dois-je tourner autour du pot ou vous dire simplement que je n'ai pas apprécié ce roman qui se distingue par son absence de profondeur et de subtilité. L'écriture se révèle beaucoup trop facile, les dialogues brillent par leur inefficacité et la lecture se fait avec trop de simplicité. Je me suis ennuyée à la découverte de cette histoire qui tire en longueur et ne mérite pas, au vu de sa qualité - médiocre pour ma part - le temps qui lui a été consacré. L'histoire est celle de deux femmes qui se rencontrent lors d'un naufrage - celui du Titanic; on y évoque leur amitié, leur parcours, leur famille et leur secret et cet enfant particulier. Rien qui, ici, m'a intéressée. C'est donc à oublier.

L'enfant du Titanic, Leah Fleming, Edition France Loisirs, 595p, 9€

jeudi 12 février 2015

Radicalisation - Farhad Khosrokhavar


Les questions se posent et se reposent à chaque fois que le drame frappe. Qui sont ces jeunes gens qui, un jour, décident de passer à l'action? Pourquoi se plaisent-ils à employer la terreur pour répandre la mort? D'où vient cette violence revendiquée et cette radicalisation assumée? Directeur d'études à l'EHESS, Farhad Khosrokhavar, sociologue, écrit, ici, ses réponses- forcément multiples- en interrogeant notamment la dimension subjective de la radicalisation. 

L'auteur s'intéresse, en effet, aux radicalisés; ceux qui décident d'exprimer leur opposition à la société par violence et agressivité toujours au nom d'une idéologie assumée. Il questionne les motivations des Mohamed Merah, des Moussaoui et on pourrait aujourd'hui ajouter des Coulibaly et des Kouachi; ces personnages au parcours chaotique et à l'esprit fragilisé qui finissent par se trouver une identité dans un mouvement qui leur offre tous les conforts (matériels et intellectuels) qui leur manquaient. Il écrit ces déshérités qui dans une société globalisée avec ses nombreuses difficultés (économiques et sociales) veulent devenir des martyrs respectés. Il pense ces hommes et femmes, frustré(e)s, qui décident de répandre la mort pour une croyance et contre une société qu'ils ont, au préalable, condamnée. Héros de quelques-uns, monstres de quelques autres, ces radicalisés se pensent, en effet, dans la Vérité, forcément sacrée. Ils veulent en découdre avec ce monde qui n'est pas encore islamisé et qui, selon eux, les a humiliés. Victimes de l'Histoire - ainsi se considèrent-ils - ils veulent venger l'Islam pour enfin exister. Attention, prévient néanmoins l'auteur: les explications quant à la radicalisation diffèrent selon qu'elle a lieu dans les pays musulmans ou pas; qu'elle soit ad extra (le radicalisé va faire la guerre dans un autre pays) ou ad intra (il agit ici dans son propre pays); qu'elle soit nationale (les ennemis sont précis, considérés comme des colonisateurs) ou transnationale (adversaire multiforme: Etats-Unis, Israël, Etats arabes dit corrompus, Europe etc). Ce livre s'intéresse autrement dit au processus de radicalisation dans sa diversité; les radicalisés, leurs motivations et les explications différant notamment selon le contexte politique et social. 

Ainsi, le profil des radicalisés n'est plus forcément le même que celui du passé. Autrefois sélectionnés pour leur degré d'efficacité, ils sont aujourd'hui les plus fragilisés. Avant les attentats du 11 Septembre, les groupes liés à Al Qaida refusaient, en effet, les gens "peu fiables". Depuis, pour échapper à la surveillance, la répression et la condamnation, ce sont les personnalités les plus influençables et malléables qui sont approchées et manipulées. Ce sont désormais des personnes "isolées" et autonomes qui agissent et exécutent les actions. Le terrorisme dit islamique est ainsi loin de sa disparition: il se renouvelle et se réorganise. Il continue de gagner certains esprits malheureusement intéressés et difficiles à prévenir et protéger. 

L'ouvrage raconte encore beaucoup de choses qui ne peuvent être tous évoqués (la question des financements, des lieux de radicalisation, du lien avec le fondamentalisme religieux etc). Il suffit simplement de préciser qu'il peut intéresser toutes celles et ceux qui ne sont pas familiers avec les explications et les arguments avancés par l'auteur. Pour les autres qui les ont déjà entendus, lus et/ou pensés, rien de nouveau ne sera évoqué. C'est là la faiblesse de ce livre qui reste malgré tout d'un grand intérêt en ce qu'il fait le résumé de ce qu'il faut, au minimum, savoir sur le sujet. 

Radicalisation, Farhad Khosrokhavar, Editions FMSH, 191p, 12€

mardi 3 février 2015

Villa avec piscine - Herman Koch

J'avais entendu parler d'Herman Koch mais ne l'avais encore jamais lu. Un achat obligatoire chez France Loisirs et voilà l'occasion de découvrir, le temps d'un roman, l'univers de l'auteur, connu et quelque peu célébré. Résultat? Lecture au début agaçante qui a fini par devenir agréable sans, pour autant, susciter chez moi une passion dévorante. 

L'histoire - que je ne peux raconter sous peine de spoiler le lecteur - attise la curiosité. Elle parvient à capter l'attention et à intéresser. On se rappelle la quatrième de couverture et on essaye de deviner ce qu'il s'est passé. On se doute et, pour ma part, le succès fut assuré. J'ai, en effet, bien deviné (j'ai su prévenir l’événement pas le responsable), l'auteur m'ayant aidée avec quelques indices portés par son personnage principal; un personnage qui a rendu le début de ma lecture particulièrement agaçante. 

Ce Docteur Marc Schlosser m'était effectivement détestable et avait de quoi m'énerver jusqu'au jour, fameux, où on le découvre puissant et quelque peu attendrissant avec toujours, je le conçois, ces traits de caractères que je trouve méprisable. 

Le roman fonctionne. Il a ce quelque chose qui favorise l'attention du lecteur. Il peut donc être/devenir le coup de cœur littéraire de quelques-uns. Il ne fut malheureusement pas le mien. 

Villa avec piscine, Herman Koch, Edition France Loisirs, 474p, 9.99€

dimanche 1 février 2015

L'Orientalisme - Edward W. Said

L'esprit change-t-il? Au fil du temps, le raisonnement connait-il son progrès? Parvient-il à se débarrasser de ce qui, hier, l'a malmené? A voir les affrontements faussement intellectuels sur les plateaux télé, à entendre les penseurs (Zemmour et compagnie) affirmer leurs vérités vraies, à lire le contenu du travail journalistique et politique, on se dit parfois que rien ne change ou, pour être exacte, très peu de choses changent. C'est ainsi que l'on continue à se désigner, pour exister, des ennemis, intérieurs et extérieurs. C'est ainsi que l'Autre, posé et affirmé, est toujours pris au piège dans une définition qu'il n'a pas souhaité. Les minorités (au sens politique du terme), quelles qu'elles soient, souffrent toujours du regard orienté de la majorité qui se pense toujours dans l'exactitude et la vérité. Le Noir était un animal sans droit qui méritait la vente aux enchères, le Juif était un être perfide et rusé responsable de tous les maux de la société et, aujourd'hui, ce sont les Arabes qui sont considérés: ils sont des terroristes islamistes aux coutumes barbares et arriérées, loin des Lumières et des idées brillantes qui font la République éclairée. 

L'Homme a besoin de se représenter. Il a besoin de définir et d'imaginer. Malheureusement, il pense toujours à côté de ce qui est, voulant simplement voir ce qui est de son intérêt. Comme l'écrit Edward W. Said, les représentations ont des fins, elles fonctionnent la plupart du temps, elles accomplissent une tâche ou de nombreuses tâches. Les représentations sont des formations, ou, comme l'a dit Roland Barthes de toutes les opérations du langage, elles sont des déformations (p. 455). Elles déforment, en effet. Même, elles inventent et créent, affirmant ensuite le travail de l'imaginaire comme une vérité incontestée. C'est ce que dénonce Edward W. Said dans cet essai d'un grand intérêt. 

En écrivant sur l'Orientalisme - courant littéraire et artistique du XIXème siècle qu'il définit comme une véritable doctrine politique censée nourrir la supériorité de l' "Occident" - Edward W. Said montre comment le colonialisme s'est accompagné d'un intérêt intellectuel pour les peuples qui habitent les territoires occupés, désormais rangés dans une étiquette orientale sans qu'on sache vraiment ce que signifie les termes qui, depuis, ont l'air de se faire la guerre: l'Orient et l'Occident. Il raconte comment les uns et les autres - universitaires, écrivains, voyageurs- ont pris plaisir à "découvrir" et définir l' "Orient", toujours d'après des qualificatifs négatifs et avilissants. Il explique comment, à coups de généralisations, de catégorisations, d'insuffisances et d'arrogances, les penseurs et intellectuels des puissances impérialistes - les Orientalistes - créent, à leur guise, un discours sur l'Orient qui permet, aux politiques, d'affirmer et de justifier leur supériorité. Un discours favorisé par l'affaiblissement de l' "Orient", son silence obligé les ayant en effet autorisés à penser comme vraies leurs conneries assumées. Aujourd'hui, les représentations faussées et erronées, et pourtant toujours affirmées avec insolence et impertinence, continuent de circuler. Venant de l'Histoire passée, elles polluent le Présent qui, je l'espère, fait le travail nécessaire pour les priver d'un succès assuré dans les prochaines années. 

Intéressant dans sa description de l'Orientalisme comme domaine de recherche peu crédible, l'essai pêche néanmoins par son style. Les répétitions et les longueurs alourdissent en effet l'essai qui perd un peu de son efficacité auprès du lecteur quelque peu fatigué, et donc vite lassé.

L'Orientalisme, Edward W. Said, Editions Points, 567p, 10.50€