jeudi 29 janvier 2015

Le quatrième mur - Sorj Chalandon

Bouleversant. Poignant. Saisissant. Le quatrième mur de Sorj Chalandon m'a percutée de plein fouet, mon cœur et mon esprit étant ressortis tout meurtris. Ce roman fait mal, en effet. Il heurte. Il marque. Il blesse. Il fait pleuvoir les balles et les bombes. Il fait tomber les corps, petits et grands; de femmes et enfants. Sans censure, il montre l'effroyable guerre; celle que se mènent les hommes inlassablement. Ici, au Liban.

Sorj Chalandon nous invite, en effet, à suivre son personnage principal dans ce bout de territoire miné par les luttes identitaires, ethniques et/ou religieuses. Druzes, Chrétiens, Chiites, Palestiniens, ils construisent leur vie dans le chaos qu'ils ont eux-mêmes nourri et bâti; un chaos apparemment idéal pour une pièce de théâtre qui, pour exister, exige la paix. Pour son meilleur et vieil ami, Georges va ainsi tenter de mettre un terme à la guerre. Pour quelques minutes, quelques heures, il veut faire jouer ensemble, sur une même scène, ces ennemi(e)s de tous les jours. Rien de plus difficile: il faut pouvoir passer les frontières et les barbelés que ces hommes et ces femmes ont implantés. Au sens propre comme au sens figuré. On en rit de tristesse. Malheureusement, le théâtre libanais a été plus fort et plus affirmé. C'est lui qui a fait jouer Georges dans sa terrible tragédie. Et nous sommes, lecteurs, émus et ravis par ce spectacle intelligemment produit par les Hommes doués pour le drame. 

Émue, en effet. Ce roman raconte le pire; celui qu'on entend mais ne voit pas; celui qu'on imagine mais ne connait pas. Il nous dit ce qui est. C'est la guerre; celle qu'on ne comprend toujours pas. Pourquoi? Pourquoi cette haine qui fait des ravages par milliers? Sorj Chalandon raconte avec tant d'efficacité que la douleur ne peut s'éviter. Elle s'impose doucement et le cœur endolori a envie de pleurer ces morts injustifiés causés par la barbarie qui n'a d'autre nom que l'humanité. Il a envie de pleurer parce qu'il n'a pas d'autre réponse aux milles questions posées par ce roman d'une grande et réelle beauté. La tragédie fait son effet.

Le quatrième mur, Sorj Chalandon, Livre de poche, 326p, 7.10€

lundi 26 janvier 2015

Une ombre japonaise - Lee Langley

La couverture m'a attirée. Elle est jolie, agréable à regarder. Quelle histoire veut-elle illustrer? La quatrième de couverture parle d'un drame. J'acquière le roman par curiosité, sans grande idée. Je l'ai lu. L'ai-je apprécié? La réponse est mitigée. 

L'histoire - que je ne peux et surtout ne veux pas raconter pour laisser le lecteur la découvrir avec liberté - fait son effet. On se plaît à lire ce roman fluide et léger par son écriture, dense et lourd par son contenu. L'auteure évoque, en effet, le XXème siècle, celui-là même qui a connu et infligé les deux grandes guerres à l'humanité, m'emmenant ainsi sur des chemins brumeux que je n'avais pas envisagés. Elle m'a surprise et étonnée, moi qui, pourtant, n'avait de ce livre aucune idée. Elle parvient également à m'attacher à un personnage que je pensais pourtant, dès les premières lignes, détester. Chapeau et respect. 

Malheureusement, car il y a un mais, cela ne suffit pas à nourrir davantage mon intérêt. Le roman est agréable mais ne parvient pas à se fixer dans l'éternité, lieu où se fixe les coups de foudre et de cœur. Sitôt lu, sitôt rangé et bientôt oublié. 

Une ombre japonaise, Lee Langley, Fleuve Editions, 400p, 19.90€

 

lundi 19 janvier 2015

L'hôtel des ombres - Jean Touyarot

Acheté par hasard pour son prix très bien soldé, ce livre s'est révélé être une petite pépite bien dorée. Émouvante, attendrissante et poignante, cette histoire que l'on dit vraie raconte la France attaquée et malheureusement occupée. C'est la seconde guerre mondiale. Les Allemands envahissent le pays et amènent avec eux leurs lots de saloperies: la haine envahit les lieux, la violence se répand impunément et la peur fige les cœurs; certains cœurs car tous ne sont pas atteints. Il reste, en effet, des hommes et des femmes qui, au péril de leur vie, choisissent la Résistance. Ils sont nombreux. Ils sont des milliers. Ils travaillent en silence. Loin de la lumière. Ils sont dans l'ombre. Ils sont comme les propriétaires et salariés de cet hôtel Continental à Pau qui travaillent à sauver des vies.

Et c'est Jeannot, le fils du propriétaire, qui nous raconte et nous explique. De sa petite voix lucide et parfois naïve, le jeune homme nous ouvre les portes de l'hôtel. Il nous invite chez lui au temps du passé et on y découvre des maux qui pour beaucoup sont étrangers. En période de guerre et d'occupation, l'hôtel, encore en zone libre, est accaparé; par des réfugiés bien particulier qui fuient l'épée des nazis écervelés. Propriétaires et salariés travaillent alors d'arrache pied pour parvenir à les nourrir et les loger, y compris quand l'hôtel est occupé par l'ennemi détesté. Ils sont soupçonnés, accusés, attaqués mais par une chance (ou une intelligence?) inespérée ils parviennent toujours à échapper aux filets. Ils font ces résistances qui font l'honneur de l'humanité. Ils sont si bons que c'est à se demander si l'auteur n'a pas exagéré. Enfin, ce livre raconte encore beaucoup de choses que je ne peux dévoiler pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur intéressé.

Je lui dirai simplement, à ce lecteur en visite, que ce livre est à lire. Oh bien sûre, il n'est pas l'écrit du siècle, il n'est pas le chef d'oeuvre littéraire mais il brille quand même. Il scintille tout de même. Par les thèmes qu'il aborde et l'histoire qu'il raconte. Ce livre interroge, chagrine, émeut. Il fait son effet parce qu'il dit vrai, parce qu'il traite de l'humain dans sa bonté, sa générosité et sa plus grande médiocrité. Il raconte ce qui fut et ce qui est encore pour qui connait de près, de par le monde, certains combats, certaines résistances. Il est le témoin de son époque mais reste, malheureusement, toujours d'actualité pour qui sait y dénicher les interrogations posées par la triste histoire de l'humanité.

L'hôtel des ombres, Jean Touyarot, Edition Seuil, 264p, 18.50€

mercredi 14 janvier 2015

L'équation africaine - Yasmina Khadra


Ses livres se promenaient sur les étagères des librairies et attiraient mon regard sans jamais motiver un achat. Je voyais son nom, ses romans sans jamais faire le pas. C'est un achat obligatoire chez France Loisirs qui explique aujourd'hui ce choix. L'équation africaine est ainsi le premier roman que je lis de Yasmina Khadra, romancier si souvent remarqué mais jamais rencontré.

L'ouvrage raconte l' "Afrique" et sa découverte tragique par un médecin en deuil, le Docteur Kurt Krausmann. Enlevé avec son plus cher ami par des pirates, l'homme, d'origine allemande, va subir tout ce qui fait l'"Afrique" noir et triste: la guerre, la violence, la pauvreté, l'injustice... Il découvre tout ce qu'il savait mais ne connaissait pas; il avait entendu, en effet, mais n'avait jamais rencontré, jamais vécu, jamais vu. La misère humaine jusqu'alors lui échappait, elle est dorénavant à ses pieds. Et forcément elle l'interroge, elle l'étonne, elle le fait réagir. Qu'est-ce? Pourquoi? Comment? D'où vient cette violence qui ne finit pas? Pourquoi la mort trône-t-elle en reine?

Kurt Krausmann est l'homme "occidental" (ce terme pour moi ne signifie pas grand chose); celui qui vit dans un confort, qui connait l'opulence et l'abondance, dont la vie "ordonnée" est assurée par une certaine sécurité; un homme qui va apprendre l'essentiel de la vie au contact d'un "continent" qui lui est étranger. Il apprend, en effet, à relativiser mais il lui faut, avant cela, se perdre et s'interroger.

Le roman a du bon. Il sait dessiner le désert qui fait l'environnement et l'âme humaine. Il sait nous raconter la violence et la haine. Il sait tracer la descente en enfer d'un homme jusque là épargné. Seulement, il fait aussi dans la banalité: l' "Afrique" souffre de nombreux maux mais garde sa "puissante identité", nous dit-il. L'"Afrique" est un continent affaibli mais préserve un rapport sain à la vie, nous raconte-il. L' "Afrique" apparaît comme le continent où la vie, parce qu'elle se fait dans des conditions difficiles, prend son sens véritable. Je ne pourrais prétendre le contraire et sans doute le reproche ne doit-il pas se faire mais enfin, pour ma part, je dois dire que j'ai trouvé cela d'une grande banalité.

Autre lacune à souligner: peut-on réduire le continent africain à quelques propos singuliers? Le langage a l'habitude d'évoquer l'Afrique comme s'il s'agissait d'un pays qui fait bloc. Faut-il rappeler qu'il s'agit d'un continent, forcément pluriel, et qu'il ne suffit pas d'une expérience sur un territoire donné pour évoquer l'Afrique tout entier? L'Afrique est un continent divers et varié. Le rappeler, c'est faire, je le conçois, dans la banalité mais il faut apparemment le souligner pour ne pas faire dans l' "africanisme" comme on ferait de l'"orientalisme". Est-ce ce que Yasmina Khadra veut nous raconter? Veut-il nous dire que l'homme "occidental", dans son expérience avec le continent africain, fait toujours dans la représentation faussée, la généralité et la banalité? Si tel est le cas, le travail est réussi. Sinon ...

Quant au personnage principal, quelques mots sont nécessaires. L'auteur lui fait perdre de sa crédibilité et de sa pertinence quand il lui impose un changement d'état d'esprit aussi rapide que l'éclair. Certes, dans la souffrance et le deuil, l'être humain peut vivre des sentiments contradictoires mais il le vit dans un cercle infernal. Il tourne en rond et ne sort pas de son infini désespoir en une seconde de réflexion. Ce qu'a eu tendance à faire, il me semble, le docteur Kurt Krausmann.

L'équation africaine, Yasmina Khadra, Edition France Loisirs, 388p, 9.99€

jeudi 1 janvier 2015

Eugénie Grandet - Honoré de Balzac

Amoureuse de la littérature classique, je retrouve, dans ce petit livre, tous les ingrédients qui font les bons et grands romans: une intelligence dans l'analyse, une puissance dans la construction, une beauté dans l'écriture. Avec talent et efficacité, Honoré de Balzac fait ce qui me plait: une critique acerbe et sans pitié de la société. Et c'est à l'argent qu'il s'attaque; à ses effets pervers qu'il s'en prend. 

Il raconte ainsi le père Grandet dont l'autorité et l'intransigeance s'accroissent en même temps que son avidité. Il aime l'or et la richesse, n'est jamais rassasié, en veut toujours plus; jamais pour en profiter, toujours pour s’enivrer. Il raconte le cousin Grandet, jeune homme pur et sans mauvaise pensée qui, au contact de l'argent amassé, devient un être d'une grande cupidité. Il raconte des familles qui espèrent contracter mariage pour amasser toujours plus de fortune. Il raconte des personnages qui voient leur bonheur dans l'ascension sociale et la richesse. Il raconte une société qui rêve d'opulence et qui, jamais assouvie, est prête à tout pour se réaliser. 

Et dans ce monde sans principe ni valeur, se dresse une dame qui brille par sa pureté et son intégrité. C'est Eugénie Grandet. Elle est désintéressée. Elle est amour, fidèle et inaltéré. Elle est générosité. Elle est tout ce que ce monde au contact de l'argent ne peut être: elle est une âme qui mérite la sainteté. Elle est chrétienne. 

Intelligent et intéressant, ce roman rappelle l'essentiel: il y a plus important que l'argent. Il y a les principes et les valeurs. Il y a la bonté et la générosité. Il y a l'amour, l'amitié et la parenté. Dans le monde moderne où l'argent est devenu Roi par la volonté de l'Homme, où la puissance et le respect se gagnent par le capital amassé, où l'argent est le moyen par lequel chacun(e) est censé(e) se réaliser - pour devenir quelqu'un, il est bon de rappeler l'évidence: l'argent n'est rien. Il n'a de valeur que celle qu'on accepte de lui accorder. Et s'il est devenu l'instrument de torture qu'on connait, s'il est devenu l'épée tranchante qui fait des morts par milliers, s'il a des propriétés si contestées, c'est parce que l'Homme en a fait sa nouvelle arme aiguisée. Et ce que l'Homme a décidé, il peut tout à fait le modifier. On peut toujours rêver. C'est qu'il ne sait toujours pas penser le bonheur et le respect en dehors des marques de supériorité. 

Eugénie Grandet, Honoré de Balzac, Livre de poche, 306p, 3€