lundi 29 décembre 2014

L'Homme et la mer - Charles Baudelaire



Homme libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame, 
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image; 
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets: 
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes; 
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes, 
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!

Et cependant voilà des siècles innombrables 
Que vous vous combattez sans pitié ni remords, 
Tellement vous aimez le carnage et la mort, 
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables! 


Les fleurs du mal, Charles Baudelaire, Edition Librio, p.19, 2€

dimanche 28 décembre 2014

L'enfance d'un chef - Jean Paul Sartre

Nouvelle agréable et très rapide à lire, L'enfance d'un chef raconte, avec un certain humour et un brin de caricature, l'entrée en "âge adulte" de Lucien Fleurier, fils d'un chef d'entreprise, à la recherche de caractère et de personnalité. 

Fasciné à l'âge de l'adolescence par les théories freudiennes qu'il épouse sans sourciller - passage assez risible - le jeune homme croit s'être trouvé en se définissant comme un être torturé avant de préférer une cause plus grande qui lui apporte respect et autorité: l’antisémitisme.

L'ouvrage - apparemment une parodie du "roman d'apprentissage" (doit-on penser au superbe Lucien Leuwen de Stendhal ?) - évoque à sa manière le confort de certaines "causes collectives". Le groupe offre à l'individu commodité et stabilité, d'être et de pensées. Il propose une solidarité à la personnalité isolée, lui présente une définition et une identité. En embrassant un nationalisme agressif qui prend pour cible "le Juif", Lucien Fleurier découvre ce qu'il lui plait: une solidité de groupe, une virilité, un respect et une autorité. Lui, être faible à la recherche de lui-même, finit, en effet, par se trouver et se complaire dans une "cause" qui l'autorise à devenir "chef", suivant ainsi la vocation paternelle tant contestée.

Intéressante à lire, la nouvelle a néanmoins quelques faiblesses. La caricature mène Jean-Paul Sartre, attiré par le communisme, à s'enfermer lui-même dans la caricature: on a comme une envie de lui dire que l'antisémitisme et, plus généralement, le racisme ne sont malheureusement pas l'apanage de la classe bourgeoise et que son personnage aurait pu, aussi, être un fils d'ouvrier. Toute personnalité en quête d'identité - et ce, quelque soit son origine sociale - épouse la lutte qui lui offre l'objet de sa quête. Pourquoi donc avoir choisi un fils de patron? Pourquoi pas me dira-t-on. Oui mais non ... il s'agit de Jean-Paul Sartre et qui connait ses opinions politiques peut se demander s'il s'agit là d'un geste anodin. Au fil de la lecture, il m'a semblé que non. Dommage. 

L'enfance d'un chef, Jean-Paul Sartre, Edition Folio, 130p, 2€

lundi 22 décembre 2014

Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur - Harper Lee

Trompée par la quatrième de couverture, c'est à la première qu'il fallait me fier. Et encore ... que nous dit réellement ce visage d'enfant sur le roman? A priori, rien. A posteriori, davantage que le résumé proposé. 

La quatrième de couverture a mené mon imagination en erreur. Elle m'a fait croire à un roman exclusif sur Atticus Finch, "avocat intègre et rigoureux, commis d'office pour défendre un Noir accusé d'avoir violé une Blanche". Elle m'a fait croire à une histoire sur la ségrégation et l'injustice - notamment judiciaire-  infligée à une population colorée. Elle m'a persuadée (je me suis auto-persuadée pour être honnête) que j'allais, dans ce livre, découvrir un combat acharné; celui d'un avocat blanc pour son client noir; celui d'un humaniste contre le racisme et la discrimination; celui d'un homme blanc pour les droits civiques des Noirs aux Etats-Unis. Je pensais, en effet, lire l'histoire d'un homme noir accusé à tort; suivre une procédure judiciaire infâme et injuste; admirer un homme blanc aux valeurs incontestables et pester contre une majorité aux préjugés et aux opinions insupportables. J'ai pensé juste ... un peu ... mais je n'ai pas imaginé le reste.

Le reste, c'est l'histoire de cette fille, Jean Louise, appelée Scout, qui raconte quelques années de son enfance. Elle raconte sa famille, son père (M. Atticus Finch), son grand frère et son histoire. Elle raconte sa rue, son quartier et sa ville. Elle raconte ses jeux, ses désirs et ses colères. Elle raconte ce que, petite fille, elle perçoit de son environnement et ce qu'elle a, entre autres, vécu lors de ce procès où son père est appelé à défendre un Noir accusé de viol. Elle raconte de sa forte voix la société dans laquelle elle vit et les personnages qu'elle rencontre. Et c'est elle qu'on entend exclusivement. C'est à travers son regard que l'on prend connaissance des thèmes cités préalablement. Car, contrairement à ce que j'ai pu pensé à l'achat de ce roman, ceux-là ne sont pas le cœur même du livre. Ils ne font qu'entourer la petite voix qui parle, ils ne font que construire l'environnement dont elle se fait le témoin. 

Ce livre est, en effet, un livre sur l'enfance. Pour être plus exacte, il fait l'analyse du monde adulte à travers le regard de l'enfance. Il porte la voix d'une petite fille qui vit dans une société donnée et qui, tout naturellement, témoigne du ségrégationnisme, des préjugés tenus par les Blancs sur les Noirs, des rapports de force entre les deux communautés. Il parle de l'Autre, du regard qu'on lui porte, de l'image qu'on s'en fait. Il parle d'une enfant qui résiste, s'interroge et apprend à grandir. Il parle d'une voix que je n'avais pas soupçonnée. Moins puissante et moins articulée. En cela, j'ai été un peu surprise et décontenancée. En cela, j'ai été un peu frustrée. Car c'était moins bien que ce que je pouvais espérer.

Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, Harper Lee, Livre de poche, 446p, 6.60 €

mardi 9 septembre 2014

Du côté de chez Swann - Marcel Proust

On aime ou on déteste, on accueille avec le sourire ou on vomit avec plaisir. Marcel Proust ne laisse pas indifférent. Il appelle forcément à une réaction, bonne ou mauvaise. La mienne fut plus que mitigée.

En effet, si j'ai apprécié le talent d'écriture de l'auteur, si j'ai aimé sa description de l'amour et de la passion (surtout unilatérale), j'ai beaucoup moins aimé son style. Les phrases, trop longues, coupées par de nombreuses virgules, perdent le lecteur qui, pour retrouver le sens de la phrase, doit interrompre sa lecture. Les mots s’enchaînent à un rythme effréné. Ils assomment. Ils étouffent. Marcel Proust aurait, dit-on, cherché l'effet. L'asthmatique qu'il était a voulu imposer sa maladie. Et bien, c'est réussit. Avec Proust, j'ai manqué de respiration. Et du coup, de concentration. La souffrance infligée me privait du plaisir que certains(e)s ont éprouvé.

Marcel Proust, en parvenant à l'effet escompté, a prouvé son talent. Mais en abusant du procédé, il a fini par m'épuiser. Cela, pourtant, ne suffit pas à ma fuite. Je ne fuirai pas. Je continuerai à lire Proust. Mais je dois avant tout respirer ...

Du côté de chez Swann, Marcel Proust, Livre de poche, 5.60€